Robinson Crusoé et le Grand Moyen-Orient

par ilia Sam 16 Déc - 17:47

Robinson Crusoé et le Grand Moyen-Orient
Par: Kamel Daoud Du Quotidien d'Oran

Les îles? il n’en reste plus aucune, Homme Blanc: elles sont toutes mortes, disparues, effacées. Il n’en reste que des solitudes, quelques palmiers et la mer qui autrefois les cachait à la vue et les offrait au hasard et aux naufrages. Il n’y a plus d’îles nulle part: la terre connaît tous ses propres recoins et les bouts des mondes ne sont plus que ses propres orteils qu’elle examine lorsqu’elle enlève ses chaussures de voyage. Il ne reste rien à découvrir et peu de choses à qui donner le nom d’un navigateur et y planter le drapeau et la féroce idée du Dieu triangulaire. C’est peut-être pour cette raison que vous, Hommes Blancs, recommencez votre histoire sur notre dos et que vous cherchez en nous le Sauvage pour retrouver en vous l’Explorateur, le Libérateur, le Médecin et le Missionnaire. C’est toujours la même histoire: celle de Robinson Crusoé et de son Royaume. Cela se passe toujours de la même façon: vous êtes les maîtres d’une île même si celle-ci n’existe pas, vous y plantez des récoltes, y élevez des chèvres et vous y fabriquez un casque. Un matin, vous arrivez à surprendre trois sauvages dont l’un d’eux va servir de repas aux deux autres, vous tirez alors un coup de feu qui retentit dans tout l’univers et en fige la rotation inutile. L’un des sauvages tombe mort, le deuxième fuit vers l’horizon et le troisième devient votre chose, votre domestique, votre objet et votre instrument de bonne conscience. Cela s’est passé autrefois, aujourd’hui ou demain. Avec un fusil, un avion de chasse, l’ONU ou selon le droits de l’intervention humanitaire. Vous faites cela au nom de l’humanité, de la sécurité ou des minorités. Celui que vous tuez devient un meurtrier, un communiste ou un islamiste, celui qui fuit sera votre ennemi à Tora Bora, à Tikrit ou à Hambourg et celui que vous capturez devra apprendre à s’habiller comme vous, à manger du cuit, à faire de la poterie et à vous parler comme vous parliez autrefois à votre dieu: en cherchant où se trouve votre coeur dans le vaste ciel sachant qu’il change malignement d’endroit à chaque fois que vous changez d’humeur, de langue ou de priorité. Le monde moderne? C’est l’histoire de Robinson, de son sauvage et de l’instant mythique où il croit l’avoir libéré de l’appétit anthropophage de ses frères. Il y suffit d’un endroit où vous vous déclarez maître, d’un fusil, d’un vendredi, des droits de l’Homme et de la certitude que vous avez une mission sur terre. Que s’est-il passé lorsque Robinson Crusoé a quitté l’île? Selon De Foe, il a vécu riche et heureux. Qu’est devenu Vendredi après avoir perdu sa nudité, ses ancêtres, son Dieu et ses façons de manger? Daniel De Foe ne le dit pas. A l’époque où il écrit son admirable histoire, le Darfour, le Rwanda, l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan n’existaient pas encore. Les îles? Il n’en existe plus qu’une seule: c’est la terre entière. L’Homme Blanc y possède la terre entière, des millions et des millions de Vendredi, un casque colonial, le même fusil, le Grand Moyen-Orient à la place de la Bible et les mêmes raisons de se prendre pour le centre du monde

C'est criant de vérité !

par ilia Sam 16 Déc - 23:46

Je prend les meilleurs passages :

*-C’est peut-être pour cette raison que vous, Hommes Blancs, recommencez votre histoire sur notre dos et que vous cherchez en nous le Sauvage pour retrouver en vous l’Explorateur, le Libérateur, le Médecin et le Missionnaire.

*-Un matin, vous arrivez à surprendre trois sauvages dont l’un d’eux va servir de repas aux deux autres, vous tirez alors un coup de feu qui retentit dans tout l’univers et en fige la rotation inutile. L’un des sauvages tombe mort, le deuxième fuit vers l’horizon et le troisième devient votre chose, votre domestique, votre objet et votre instrument de bonne conscience.

*- Celui que vous tuez devient un meurtrier, un communiste ou un islamiste, celui qui fuit sera votre ennemi à Tora Bora, à Tikrit ou à Hambourg et celui que vous capturez devra apprendre à s’habiller comme vous, à manger du cuit, à faire de la poterie et à vous parler comme vous parliez autrefois à votre dieu.

*-Il y suffit d’un endroit où vous vous déclarez maître, d’un fusil, d’un vendredi, des droits de l’Homme et de la certitude que vous avez une mission sur terre.

et en fin ....

*- le Darfour, le Rwanda, l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan n’existaient pas encore. Les îles? Il n’en existe plus qu’une seule: c’est la terre entière. L’Homme Blanc y possède la terre entière, des millions et des millions de Vendredi, un casque colonial, le même fusil, le Grand Moyen-Orient à la place de la Bible et les mêmes raisons de se prendre pour le centre du monde.

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